the rest is confetti (caleb)

1996 – naissance à Brevik. Bébé surprise de l'union de Aiko et Frank Ackerman suite au remariage de ce dernier, Caleb est le petit dernier d'une famille recomposée. Son demi-frère et sa demi-sœur prennent plutôt bien son arrivée et malgré la différence d'âge.

2002– Arrivée de Federica dans sa vie. Nounou engagée spécialement pour s’occuper de lui lorsque papa et maman sont absents, la femme prend rapidement une place importante aux yeux du petit garçon en mal d’amour. Jouer dans le jardin, lire des histoires, parler des planètes, la regarder cuisiner. Le lien fusionnel est brisé lorsqu’une année plus tard, Federica est remplacée par une nouvelle nanny.

2003– Rentrée scolaire. Famille stricte et envahissante, papa et maman Ackerman placent beaucoup d'espoirs sur le petit dernier de la famille. Attendant le meilleur de leurs enfants (non seulement dans les manières mais pour le futur et la carrière), ils poussent Caleb à travailler très dur dès le début. Pour le plus grand bonheur de sa famille, l'enfant se révèle particulièrement doué à l'école. Certains professeurs iront jusqu'à le qualifier de haut potentiel même si aucun test n'a jamais été effectué.

2004– Sa sœur quitte la maison familiale pour intégrer une prestigieuse université, suivant les pas de l’aîné Ackerman. Suite à ce départ, Caleb se retrouve seul à la maison. Carriéristes et souvent en déplacement professionnel, ses parents peinent à lui accorder beaucoup d’attention. Pour compenser leurs voyages et leur absence, ils cèdent facilement aux caprices du petit garçon qui devient vite un enfant roi.

2007– Sans l’attention de ses parents et le cadre de vie que lui imposaient ses frères et sœurs plus âgés, Caleb peine à suivre. Un sentiment d’abandon l’habite et grandit et rien ne semble vraiment pouvoir le combler. Son attention et son intérêt pour l’école fanent rapidement. D’élève appliqué et encensé par les professeurs il passe du cancre de service qui ne pense qu’à s’amuser ou à dormir en classe.

2008– D'abord inscrit de force par ses parents pour trouver un moyen de canaliser son énergie et dans l'espoir de l'occuper, Caleb découvre les joies du sport et plus particulièrement du hockey sur glace. Motivé, tête brûlée et débordant d'énergie, il trouve bien rapidement dans le sport un moyen de se dépenser et de se vider la tête. Très fiers des progrès de leur fils, ses parents viennent le voir lorsqu'ils le peuvent aux compétitions.

2011– Caleb est mis à pied pour un mois avec un avertissement lorsqu’un professeur découvre qu’il tente d’implanter un système d’achat de devoir dans son lycée. Les relations déjà électriques avec son père ne font que se dégrader.

2014– Après une scolarité en dents de scie, Caleb termine son lycée une bourse sportive en poche. Sans réelle ambition si ce n’est de découvrir le monde, il s’inscrit sans grande envie à l’Université de Seattle.

2015– D’abord galvanisé et remotivé par ce changement de cadre et les nouveaux cours, Caleb retombe rapidement dans l’ennui. Par flemme et lâcheté, il poursuit malgré tout son cursus universitaire avec beaucoup de mal. Souvent en retard ou absent pour les cours – préférant aller skier ou grimper avec des amis – il frôle à plusieurs reprises l’échec définitif.

2019– Sa vie est chamboulée lors d'une froide nuit de janvier alors qu'il revient d'une excursion en snowboard à la pause hivernale avec Mike son camarade de dortoir. Ce dernier est surpris par le verglas et perd rapidement la maîtrise du véhicule. L'impact est violent, inattendu et laissera beaucoup d'angoisses mais les deux amis s'en sortent tous les deux vivants et entiers.

2019– Le genou bousillé, c'est remotivé à retrouver toute sa mobilité et à repartir le plus rapidement possible en montagne que Caleb revient à Brevik pour s'installer chez ses parents le temps de son rétablissement. Bien qu'il en garde quelques angoisses, l'accident lui a fait réaliser une chose : il n'a pas de temps à perdre, il doit vivre sa vie comme il l'entend. Un mois après son retour de l'hôpital, il met fin à ses études contre l'avis général.

2019– Après quelques mois de rééducation et de petits boulots à Brevik, Caleb part en voyage, réalisant enfin ce rêve qui le tenait jusqu’alors éveillé la nuit. Inquiets pour son bien-être, persuadés qu’il rentrera d’ici un an maximum pour reprendre ses études et retrouver le confort auquel il a toujours été habitué, ses parents cèdent et acceptent de l’aider à payer ce voyage.

2020– Alaska, Canada, Amérique centrale, Amérique du Sud et Japon. Son voyage le marque, le change. Les rencontres sur la route, les paysages. Lorsqu'il ne se baigne pas dans l'océan, il apprend à surfer, il dévale des pistes enneigées, grimpe des sommets et goûte la cuisine locale à travers le monde. Durant cette année, Caleb enchaîne les moments de pur bonheur et les petits jobs : un jour commis de cuisine au Mexique dans une petite échoppe, le suivant homme à tout faire dans une ferme au Panama, l'autre réceptionniste dans une auberge de jeunesse en Argentine.

2020– Réalisant qu'il ne compte jamais reprendre ses études universitaires, ses parents coupent l'aide financière qui lui permettait jusqu'alors de voyager sans préoccupations. D'abord décontenancé et contrarié par ce revirement de situation, Caleb refuse de rentrer immédiatement. Doigt d'honneur à ses parents : lui qui a toujours vécu confortablement et sans soucis décide de prendre les choses en main. A partir de ce jour il finance son voyage grâce à ses propres efforts. Du moins pour quelques temps...

2021– Retour officiel à Brevik. Ça fait six mois que ses parents ont coupé leur aide financière, six mois qu’il vit d’eau fraîche, d’amour et de petits boulots. Aujourd’hui et en attendant de trouver une solution plus stable, Caleb dort dans sa voiture, trop fier pour aller frapper à la porte de la demeure familiale.

Sa casquette solidement visée sur son crâne, son petit sac à dos débordants de bonbons et sucreries en tout genre à dévorer durant le trajet, Caleb se jette sur son frère dès que celui-ci sort de la salle de bain. « Alors, t’es prêt ? » Les yeux brillants, ses mains viennent s’accrocher aux lanières de son sac. Lui, il est prêt. Plus que prêt même ! Voilà deux jours qu’il attend avec une impatience la visite de son frère. Deux jours que sa mère lui demande d’être patient et sage en attendant le retour de Luke, entre deux appels avant de disparaître dans son bureau.

A l'origine, c'est avec elle qu'il aurait dû aller au Zoo. Elle a promis de l'emmener voir des singles écureuils il y a plus de trois mois maintenant, après que Caleb ait regardé un documentaire sur les primates et soit totalement fasciné. Seulement voilà, Maman est trop occupée. C'est ce qu'on lui a longtemps expliqué et répété. Et si elle ne peut l'y emmener, sa mère a su lui proposer une alternative lorsqu'elle lui a promis que son frère, lui, l'y emmènerait. Le jour J. L'attente, la déception ne sont que des mauvais souvenirs. « Prêt pourquoi ? » Déposant une main affectueuse sur son épaule, Luke lui adresse un sourire. « Ben ! Prêt pour notre journée au Zoo ! J'ai exprès emprunté un livre à la bibliothèque l'autre jour. Tu sais que les singes écureuils sont les plus petits des singes ? Et tu sais qu'en plus de manger des fruits ils mangent aussi des insectes ? Tu penses qu'on va pouvoir en caresser ? » Le souffle court, Caleb relève la tête, croise le regard de son frère. Il n'est pas très grand Caleb et pourtant, ce regard il le connaît que trop bien. Il ressemble à celui de Maman et Papa lorsqu'ils expliquent qu'ils ne seront pas présents pour la vente de biscuits ou pour la journée parents-enfants. L'embarras, la gêne. « Tu as oublié, pas vrai ? » D'un geste sec, le garçon repousse la main de son frère. Voilà que Luke commence à se confondre en excuses, lui expliquant que Maman ne lui a pas rappelé assez tôt. Il faut repousser mais ils peuvent replanifier. Il promet de l'y emmener. Des promesses, encore et toujours. « Non, c'est pas grave. Laisse tomber d'accord ? » Laissant retomber ses bras le long de son corps, Caleb part se réfugier dans sa chambre sans un regard pour son frère.

Le lendemain il se sera débarrassé de tous les livres empruntés à la bibliothèque. Sa mère s’excusera platement avant de lui promettre une nouvelle sortie au Zoo à planifier dans quelques semaines. En fin de compte, la première fois que Caleb verra des singes écureuils en chair et en os, ce sera lors d’une excursion dans la jungle au Costa Rica, près de vingt ans plus tard.


Un bourdonnement intense. Douleur acérée, puissante, qui lui coupe le souffle. Caleb ne comprend pas, ne comprend plus. Tout est confus, le décor vacille autour de lui. Il a tantôt l'impression de flotter, d'être aussi léger qu'une plume, puis la terrible sensation d'être aussi lourd qu'une pierre, de se noyer. A tâtons, dans le brouillard, sa main se porte à son front. Liquide carmin, poisseux, chaud, à l'odeur métallique. Des débris de verre entaillent sa peau. Son dos, sa jambe droite, tout son corps lui fait un mal de chien. Lorsqu'enfin, au prix d'un effort surhumain il parvient à soulever ses paupières, le monde est inversé. L'asphalte noir, brillant, maculés de morceaux de tôle, de débris de verre et quelques mètres plus loin, une chaussure. Un ciel noir et dégagé, brillant d'étoiles a remplacé la route. Le monde à l'envers. Un instant cette vue l'éblouie, le submerge. C'est magnifique. Il se sent soudainement bien. Apaisé. La douleur disparaît à mesure que ses paupières se referment. Bercé par le silence étouffé de l'hiver, quelques délicats flocons de neige qui se posent délicatement sur ses joues, il se laisse emporter dans les abysses.