enid ✮ hello world

souvenir
in my head

Quelques rayons de soleil illuminaient le jardin où de petites mains s’affairaient. La petite Enid âgée de quelques années seulement aidait sa grand-mère à arroser les fleurs et plantes aromatiques, accompagnée du chant des oiseaux. Elles venaient de regarder l’un de ces vieux dessins animés, habité de princesses et de valeureux chevaliers, alors que Drew racontait des histoires abracadabrantesques à son pauvre grand-père qui n’y comprenait rien. « Un jour, tu trouveras un garçon qui te rendra heureuse. » Un large sourire bienveillant se dessina sur le visage de la grand-mère qui se trouvait adorée par sa petite-fille au regard pétillant. « Il t’aimera de tout son coeur, et tu l’aimeras tout ton coeur aussi. » Qu’elle ajouta, en coupant soigneusement une tulipe pour en agrémenter le salon encore bien morose pour la saison. Elle compléterait ainsi un somptueux bouquet en cours de réalisation. « Comme papy et toi ? » Sourire. Léger rire, même. « Comme papy et moi, oui. » Mara déposa ses lèvres sur le front de la petite fille qui rêvait déjà de trouver le grand amour, le même que celui que ses grands-parents et ses parents partageaient. « Mais comment je pourrais savoir ? » Et déjà pragmatique à son âge ! Sans doute de peur de le manquer. Cela fit d’ailleurs rire sa grand-mère qui la rassura du mieux qu’elle pouvait. « Tu le sauras, ma chérie. Tu le sauras dès que tu le verras. »

Fin Mars 2017.

Voilà un mois que Mara Eddusen s’en était allée. Un mois qu’Enid avait eu cette lettre entre les mains, une lettre que son grand-père lui avait donnée avant qu’elle ne reparte pour Seattle. Après l’enterrement. Une lettre pour lui rappeler qu’un jour, elle rencontrerait un garçon qui la rendrait heureuse. Et qu’il l’aimerait de tout son coeur. Et qu’elle l’aimerait de tout son coeur. Et qu’elle le saurait, dès le premier jour. Chaque jour. Sauf que ce garçon, ce n’était pas Richard. Les larmes perlaient sur ses joues à mesure que la valise se remplissait soigneusement. Oh, grand-mère, comment ai-je pu me tromper à ce point-là ? Enid faisait attention de ne rien oublier alors qu’elle rassemblait ses affaires. Surtout ses pierres dont cet idiot s’était toujours moqué. Jamais elle ne voulait revenir dans cet appartement, dans cette ville qu’elle avait abhorrée dès la première fois que Richard l’y avait emmenée pour l’éloigner de Brevik. Elle aurait dû le voir, dès le départ, que ce n’était pas le bon. Que Richard et Enid, ce ne serait jamais aussi beau qu’Isak et Mara Eddusen. Oh, grand-mère, je suis désolée. Elle avait l’impression de la décevoir, en s’étant trompée de la sorte.

Elle, elle venait d’en laisser une, de lettre, à Richard, sur le comptoir de la cuisine. D’un tout autre type. Pas très courageux, oh non. De toute façon, l’aurait-il écoutée si elle avait essayé de lui dire de vive voix ? Il n’y avait que son travail. Il n’y avait que sa petite personne. Enfin, Enid osait espérait qu’il n’y avait que sa petite personne, et pas d’autres femmes. Peut-être. Peut-être pas. La blonde n’avait jamais essayé de savoir. A quoi bon ? Elle était malheureuse, quoi qu’il arrive, et il était temps de mettre un terme à cette mascarade. Au moins, elle n’aurait pas à subir la déception de le voir ne pas réagir à l’évocation du mot divorce. Ses affaires rassemblées dans la voiture, la jeune femme quitta cette maudite ville après avoir laissé une lettre de démission à son patron. Un pauvre type qui se moquerait de la perdre, puisqu’il trouverait sans nul doute à la remplacer dans la seconde. Les joies d’un travail pas si intéressant. Mais pourquoi s’en soucier ? Elle savait, en cet instant, que ce ne serait plus que son passé. Adieu, toutes ces déceptions. Adieu ce vide qui avait pris place dans son coeur. Rebonjour, Brevik.

Sanglotant comme une enfant, Enid se posta devant la porte d’entrée et y frappa trois faibles coups. Trois coups qui suffirent à appeler son grand-père qui ne tarda pas à ouvrir la porte pour y découvrir sa petite fille chargée de valises. Les yeux rougis de chagrin. Le regard noyé de peine. Son regard, à lui, était plein de compassion alors qu’il comprit immédiatement ce qu’il se passait. « Oh, ma petite chérie. » Qu’il prononça à voix basse, attirant sa petite-fille dans ses bras pour la réconforter et l’accueillir chez lui pour ce qui deviendrait des années.

souvenir
in my head

Juillet 2020.

Une excellente journée à la boutique. Enid venait de faire les plus belles ventes depuis un bon bout de temps. Et il y en a encore qui trouvait à critiquer la présence des touristes ? Les affaires étaient pourtant bien meilleures avec eux ! Une curiosité nouvelle qui attirait des clients de toutes origines. Des bricoles vendues par-ci par-là qui faisaient grimper les bénéfices du commerce en flèche. Bon, d’accord, ses zygomatiques commençaient à se faire remarquer tellement elle avait dû sourire au fil de la journée. Et ce n’était pas fini. C’était avec son plus beau sourire qu’elle rentra chez elle, ou plutôt chez la Vieille Branche qui l’hébergeait depuis plusieurs années à présent. Toute contente de sa journée. Pressée de la partager avec son grand-père adoré. « Papy ? » Passant la porte d’entrée, la jeune femme se débarrassa de son sac et de sa veste fluide puis partit en quête du vieil Isak. Pas dans la cuisine. Pas sur la terrasse. Dans le jardin ! Trottinant sur l’allée pour rejoindre le coin fleuri où était assis l’homme, Enid s’installa à ses côtés sans se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Si bien qu’elle se lança dans son récit de la journée. « Aujourd’hui ça s’est super bien passé à la boutique ! J’ai... » Pas de réponse ? Pas de regard ? Rien ? Pas même un sourire ? Est-ce qu’il y avait un problème ? « Papy ? Ça va pas ? » Son comportement n’était pas habituel. Sa posture n’était pas habituelle. Rien ne semblait aller. Fronçant les sourcils, la petite blonde posa sa main sur le bras de son grand-père. Aucune réaction. « Je crois bien que les petits oiseaux ne reviendront jamais. » A part cette phrase qui n’avait aucun sens. A part une apathie flagrante à mille lieux du quotidien du Eddusen. Incompréhension d’Enid. Que voulait-il dire par là ? Et pourquoi avait-il ce comportement étrange ? Est-ce qu’il s’était passé quelque chose ? Interdite, elle ne trouva rien à dire. Impuissante spectatrice de ce triste spectacle. « Il faudrait que je range ma carabine, tu crois pas ? » Avant qu’elle n’ait le temps de l’interroger sur le sens de ses paroles, voilà que ses craintes se confirmaient. Papy raconte n’importe quoi. Papy ne fait pas attention à elle. Papy ne va pas bien. « Papy ? » Qu’elle murmura, la voix brisée. Peut-être qu’en l’interpellant à nouveau, tout irait mieux. Il reprendrait ses esprits. Il lui dirait que ce n’était qu’une mauvaise blague, ou de simples idées qui lui passaient par la tête. Qu’il n’avait pas passé une bonne heure assis ici, seul, à divaguer dans le jardin. Peut-être qu’elle avait mal compris ? C’est alors qu’il tourna légèrement, difficilement, la tête pour la regarder d’un air attendri. Ouf. Ce n’était rien. « Mara, tu es déjà rentrée ? »

Coup au coeur. Le sourire soulagé de la petite blonde s’effaça immédiatement. « Papy… C’est Enid. » Non. Non. Non. Qu’est-ce qui était en train de se passer ? Pas maintenant. Pas comme ça. Pas si violemment. Et s’il l’avait oubliée ? Et s’il perdait… « Tu sais bien que Mamie... » Non, elle n’avait pas envie de dire ça. Elle n’avait pas envie de rajouter un poids à sa peine. Elle n’avait pas envie de perdre le peu de force qui lui restait après avoir été témoin de ça. Mais c’était déjà trop tard. Les larmes perlaient sur ses joues. La panique envahissait son coeur à présent douloureux. Balbutiement incohérent. Papy perd la tête. « Papy ? » Le regard triste et paniqué, elle tenta de lui prendre la main mais ne sentit aucune réaction. Nouveau balbutiement. Nouvelles larmes. Papy ne va pas bien. Éclatant en sanglots, Enid courut jusqu’au salon pour récupérer son téléphone dans son sac et appeler sa mère. Dans la panique, mauvais contact. Elle ne comprit donc pas pourquoi c’était son père à l’autre bout du fil. Pas important. « Papa… ? Papy il va pas bien... » Qu’elle réussit à formuler entre deux sanglots, d’une voix tremblotante et paniquée. Puis elle expliqua le problème, ou du moins ce qu’elle en avait compris. Un discours incohérent. Une forte apathie. Une perte de mémoire ? Bref, un cocktail très sérieux qui ne manqua pas d’inquiéter son père. Appelle une ambulance, je préviens ta mère et j’arrive tout de suite. Puis il lui raccrocha au nez. Affolée, elle resta quelques secondes à regarder son téléphone avant de s’exécuter. Puis de s’empresser de rejoindre son Papy resté seul pendant tout ce temps. Enid ! Pourquoi l’avoir laissé ?! Et voilà qu’elle s’en voulait encore plus. C’est toute déboussolée qu’elle retourna dehors, attendant en silence aux côtés de son grand-père. Une main sur la sienne. Les larmes coulant à mesure qu’il divaguait. Avant que son père n’arrive, suivit par l’ambulance peu après ainsi que quelques curieux. Une excellente journée, exactement.

playlist
soundtrack of my life

with you I see hope, when before I didn't care now I know I need you run (harrison storm) ✮ lights will guide you home and ignite your bones and I will try to fix you fix you (sam smith) ✮ if you shine, I'll shine reflections like moonlight catch fire (canyon city) ✮ this love is running like rapids we're burning like wildfire, recklessly diving deep, never too close to me wildfire (zack hall) ✮ tomorrow don’t matter we’ll make the night last forever, so do you believe in magic magic (kylie minogue) ✮ and I will still be here, stargazing, i'll still look up, look up, look up for love stargazing (kygo) ✮ let me leave this world with the hate behind me and take the love instead only love (katy perry) ✮ no matter how your heart is grieving, if you keep on believing, the dream that you wish will come true a dream is a wish your heart makes (cinderella) ✮ someday I'll wish upon a star, wake up where the clouds are far behind me somewhere over the rainbow (iz kamakawiwoʻole)

souvenir
in my head

31 décembre 2016.

« Allez, arrête de faire la tête un peu ! » Et, comme chacun le savait, cette formule magique pouvait solutionner n’importe quel problème ou n’importe quel conflit. Enid allait oublier, d’un claquement de doigts, toutes les horreurs que son mari lui avait sorties depuis une petite semaine. Depuis leur retour de Brevik et des fêtes de Noël. Comme s’il fallait lui faire payer d’avoir passé à peine vingt-quatre heures dans ce fichu trou d’absolu néant. Comme s’il fallait lui faire payer l’once de contrôle qu’elle avait eu sur les allers et venues du couple pendant une petite journée. Ô sacrilège ! Monsieur devait reprendre les rennes au plus vite, et avait donc décidé que leur réveillon du nouvel an se passerait chez ses collègues, chez ses amis, chez ses pseudo bourgeois coincés du *** qui finiraient la soirée en buvant du vin et en débattant de la terrible injustice de notre société capitaliste. Help. Stop. Non. Qui voulait d’un réveillon de cet acabit ? Qui voulait s’ennuyer comme un rat mort lors de la soirée la plus festive de l’année ? Monsieur Richard. Monsieur Richard qui la regardait d’un air méprisant si elle osait tenter d’apporter un peu de fantaisie. Si elle osait parler de sa passion pour l’astrologie, ou toutes ces autres gamineries. « Laisse-moi. » C’était tout ce qu’il avait mérité. Même pas un regard de sa femme qui refusait de se lever du canapé. De se préparer pour être la belle et gentille Enid qui jouerait le rôle parfait – encore une fois – de l’épouse muselée. Qu’il y aille tout seul à sa maudite soirée.

« Qu’est-ce que j’ai fait encore ? » D’un ton désobligeant, lui faisant comprendre qu’il ne se considérait en rien comme coupable de quoi que ce soit. Tous ces problèmes, ce n’était que dans la tête de la blonde, rien d’autre. Pas de réponse. Pas de dispute. Elle n’avait pas envie. Pas ce soir. Pas alors qu’il jouait au Monsieur Parfait. Jamais, donc. Jusqu’au jour où elle ne pourrait plus le supporter. Jusqu’au jour où elle ne s’émanciperait enfin de son contrôle. Malheureusement, ce silence avait le don de l’énerver encore plus, parce qu’il ne pouvait pas contrer les paroles de sa femme en lui montrant – très humblement – qu’elle avait tort sur tous les points. Il fallait donc qu’il soit inventif, ce qu’il détestait par-dessus tout. D’autant qu’il avouait à demi-mots le problème à chaque fois et se rapprochait donc dangereusement d’un aveu de culpabilité. « T’aurais mieux fait de rester dans ce trou à rats si c’est pour faire la gueule ! » Donc il savait que le coeur du problème résidait en leur gestion de cette petite ville qu’était Brevik. Donc il savait qu’elle n’appréciait pas sa façon d’en parler. Donc il continuait, juste pour se prouver à lui-même (et personne d’autre), qu’il valait mieux que tous ces ploucs. Visage encore plus fermé. Pauvre con. « Tu vas faire la gamine pourrie gâtée encore longtemps ou tu bouges pour venir ? » Silence assourdissant. Larmes ravalées. Soupir d’exaspération. « T’as qu’à rester toute seule ! » Craché sans une once d’humanité, alors qu’il s’éloignait pour prendre ses affaires et claquer la porte derrière lui.

Terrible envie de décrocher le téléphone pour tout raconter à une amie, à la famille. Avant de se raviser. Qui aurait envie de passer la soirée du nouvel an avec une pleureuse, comme Richard aimait la qualifier dès qu’il en avait l’occasion ? La jeune femme se dirigea donc vers le balcon, s’y installa emmitouflée dans un plaid et laissa son regard vagabonder sur les lumières de la ville. Avant de se laisser porter par la douce musique s’échappant de ses écouteurs pendant plusieurs heures. Avant de contempler le feu d’artifice qui illumina Seattle, à minuit, le temps de quelques minutes, à défaut de pouvoir admirer les étoiles.

Bonne année, Enid.

souvenir
in my head

Novembre 2021.

Un miroir. Une fine silhouette. Un air pensif au visage. La jeune trentenaire se regardait, rêveuse, alors qu’elle glissait maladroitement, silencieusement, un oreiller sous son t-shirt pour arrondir son ventre. Une allure de femme enceinte. Une magnifique allure que la jeune femme s’impatientait d’arborer naturellement. A défaut, Enid se contemplait de temps à autre, se rêvait arrondie, à porter la vie. Un large sourire aux lèvres, elle s’imaginait toute une vie. Future mère. Mère. Grande famille. Des enfants qui couraient partout dans la maison. Un mari aimant qui l’admirait, l’enlaçait tendrement et embrassait son ventre arrondi. Malheureusement, il n’y avait que cet oreiller et des scénarios imaginés. Une réalité bien moins dorée. Il y avait eu les faux espoirs, puis les refus catégoriques et enfin l’irrépressible envie tue par peur d’être rejetée. Comme si l’univers faisait tout en son pouvoir pour lui faire comprendre qu’elle n’aurait jamais cette chance. Comment oublier, aussi, les incessantes larmes qui avaient coulé alors que le rêve semblait de plus en plus inaccessible ? Une gamine peut pas avoir de gamin, tu te souviens ?

Un moment d’inattention, et voilà que l’oreiller tombe. Le petit monde créé de toutes pièces avec. Enid, elle, avait l’impression qu’on lui arrachait à nouveau le droit de rêver. Ou même le droit, tout simplement, d’être mère.

Pas la peine de demander à Isak, ça crevait les yeux qu’il paniquerait dès la première seconde, se renfermerait et ferait tout pour ne plus jamais aborder ce sujet. Il n’avait jamais été de ceux qui se voyaient parents, malgré la présence d’Edda. Ou à cause de sa présence ? La petite blonde ne comprenait pas tout ce qui se tramait dans l’esprit du pêcheur mais elle avait décelé l’essentiel : la paternité était à mille lieues de ses préoccupations et de ses envies. Peut-être était-ce pour cette raison qu’elle n’avait jamais, auparavant, envisagé son meilleur ami comme potentiel compagnon de vie. Peut-être était-ce pour c… Non. Non. Hors de question de remettre en cause leur couple. Même si la probabilité de devoir tirer un trait sur la maternité lui brisait autant le cœur que de s’imaginer avec un autre pour réaliser son rêve.

Les yeux embrumés, Enid se baissa pour ramasser l’oreiller mais fondit en larmes alors qu’elle atteignait l’objet. Vulgaire métaphore de son désir le plus profond. Pauvre fille rabaissée à jouer l’enfant devant un miroir tant la vie lui refusait l’ultime bonheur. La vie lui semblait soudainement si vide, si insignifiante. Comme un cœur arraché. Adieu le rayon de soleil qui rayonnait de la petite blonde. Il n’y avait plus que cet oreiller étranglé, bientôt inondé d’un flot de larmes intarissables, alors que la jeune femme se recroquevillait, assise au sol. Les pleurs s’arrêteraient, comme toujours. Mais pas ce terrible chagrin.