Isak - Walking is not an option

Walking is not an option @Isak Arnesen

Le temps d’enlever un peu la poussière sur mes vêtements, liée au travail de cette après-midi à Bellingham, qu’il fallait enchaîner. Et c’est ce qu’on a fait. On a pas arrêté de monter les meubles de l’évènement que soutient l’association des Sons sans avoir prévu d’y participer pour autant. J’irai pas jusqu’à dire victoire. Mais, cette journée que j’imaginais tourner au cauchemar, se déroulait plutôt bien pour le moment. Enfin bien… Attention, calmons nous. Elle se déroulait ! C’est déjà beaucoup ! On avait un peu cherché l’embrouille l’un avec l’autre durant l’après-midi, mais au final, rien qui aurait été suffisamment agaçant pour qu’on finisse par se frapper. Encore une fois. Non vous ne rêvez pas. Je suis bien parti en mission pour Mr Eddusen avec le pêcheur de Brevik. Soupirs de satisfaction, serrage de quelques mains, avant que nous retournions auprès du fourgon que l’association des Sons of Norway nous avait prêté pour l’occasion. Et au risque de vouloir nous donner raison, c’est-à-dire, de nous prouver que nous ne pouvons décemment pas nous entendre parce qu’il ne se passe jamais rien de bon lorsque nous faisons des trucs plus ou moins ensemble, voilà que nous venions tout juste de lever la tête vers le fourgon en question. Aucun cri de panique à l’horizon, mais il ne manquait plus que ça pour aller avec la déco…

Quelques minutes plus tard…
Les mains sur les hanches, la tête levée au ciel, les yeux fermés. A croire que j’en étais réduit à murmurer une prière… Non mais sérieux ? C’est lequel le dieu auprès de qui on se rebelle ? Là ils m’ont tous laissé tomber. Comme un loser. Avec monsieur j’ai des gros muscles nianiania et je m’en sers quand ça me chante et pétard et non mais. Ca y est. C’est officiel. J’étais agacé. Enervé. Saoulé d’être ici, de cette journée. D’avoir pris sur moi. D’avoir fait des efforts. Pour quoi faire à la fin ?! Soupire bruyant avant de regarder à nouveau l’état de la voiture. Finalement, je me tapotais une joue puis l’autre pour être sûr que je ne rêvais pas. Non non. Impossible de rêver d’une situation pareille, je vous le dis. Et puis en plus j’suis fatigué, merde. Pourquoi j’ai dit oui au vieux Isak ? Tout ça pour qu’il me refourgue le jeune ? Non mais c’est ridicule. C’est décidé, j’arrête de dire oui à partir d’aujourd’hui. Non mais si si si. Je dirai non à toutes les futures propositions. « Non mais arrête voir, on va pas recoller les morceaux avec du scotch. Même la clé pour les boulons elle est pétée là, on va serrer trop fort et elle va finir en deux morceaux. Allez tant pis. Aucune dépanneuse va venir récupérer notre épave bien garée à cette heure-ci, vas-y on connaît le chemin par coeur. » Je faisais bouger des bouts de verre avec mes pieds, d’une des fenêtres qui avait été brisée. Soupire en imaginant que je venais peut-être de sous entendre qu’on pouvait s’en sortir. Tous les deux ?! Bien sûr que non. Et à pied ? Non mais non ! Rien de bon de sortirai d’une peut-être collaboration pour s’aider à rentrer jusqu’à bon port. Haha. Jeu de mot ridicule dans mon cerveau en présence d’Arnesen. Plan B. Le téléphone.


Je sortais mon téléphone de la poche, le temps que je comprenne toutes les notifications qu’il y avait dessus, j’ai pianoté le numéro de Ron. Pas de réponse. Normal. Il devait être en train de ranger le Black Karv avec énergie pour rentrer s’ouvrir une bière dans le salon. Et je le comprends… J’allais pour taper le numéro de Endre, qu’il puisse venir avec sa voiture nous récupérer. Première sonnerie, deuxième sonnerie. Plus rien. Plus de pile. « Aaaarg non mais c’est pas possible, c’est quoi ça encore ?! » Je serrais le poing, furieux de voir qu’on ne pouvait pas non plus compter sur la technologie aujourd’hui. Soupire et agacement bruyant. « Comment je vais pouvoir appeler quelqu’un pour nous sortir de là maintenant… Ron va même pas être surpris de pas pouvoir me joindre… T’as pas moyen d’appeler quelqu’un pour venir nous chercher ? » Je levais la tête, déprimé, vers Isak. Sans m'attendre à une réponse utile de sa part. A ce stade-là de la journée je n’attendais rien de personne de toute façon. Avec le téléphone sans pile non mais ça… Non mais c’est atroce. Si on m’avait dit que ça pourrait m’arriver, jamais j’y aurais cru. C’est n’importe quoi. C'est improbable. J’attendais la réponse du pécheur, de laquelle dépendait mon ride home. Un coup de fil. Un seul. Allez Isak. Donne la bonne réponse à Cucus. Il suffisait d'un coup de fil, un seul... Avec quelqu'un au bout quoi.

Respiration pantelante. Une main accrochée avec force au volant, l'autre bras tendu en direction du siège passager dans un réflexe qu'il n'a lui-même pas commandé et maîtrisé, vieux comme le monde. Qu'est-ce qu'il essayait de faire exactement avec son bras tendu entre Bakken et le pare-brise ? Le protéger ? Heureusement, l'impact n'a pas été si brutal. Alors pourquoi ce bourdonnement qui lui scie le crâne en deux ? Pourquoi cet emballement soudain du myocarde, comme s'il cherchait à s'échapper de sa cage thoracique, de cette voiture ? Isak n'a presque pas lâché un seul mot de toute la journée hormis une fois, pour détruire l'idée stupide de Marcus pour porter un meuble particulièrement lourd et pour se contenter de marmonner dans sa barbe le reste de leur mission et du chemin du retour. Énervé de devoir partager son espace privé, son temps précieux et sa journée avec Marcus, le brun s'est branché sous off. Pas de réaction – à part quelques yeux levés au ciel – pas de paroles qui pourraient mettre le feu aux poudres et créer la troisième guerre mondiale parce qu'il le sait: lorsqu'il se retrouve en présence de Marcus, il suffit d'une petite étincelle pour lui faire perdre ses nerfs d'aciers.

C'est toujours aussi silencieux, fantomatique que le marin suit le mouvement lorsque Marcus sort du véhicule et se plante devant pour constater les dégâts. Triste spectacle. La vitre latérale côté conducteur brisée par l'impact dans l'arbre sur le bas-côté de la route. La tôle froissée, brisée. Le capot totalement déformé laisse sortir un léger filet de fumée noire. Rien de très réjouissant en soit. Dans l'air froid de la nuit noire, avec les arbres en bord de route et un Marcus stoïque comme seuls compagnons, Isak reprend doucement ses esprits. Pour cacher son trouble et ses mains tremblantes à Bakken, il s'avance sans grand espoir vers la camionnette, entreprenant de soulever le capot pour essayer de réparer le véhicule. Perde perdue. Il n'est pas Halfdan et pourtant, un rapide coup d'œil suffit pour comprendre que la camionnette prêtée par la Vieille Branche ne redémarrera pas et qu'aucune dépanneuse ne viendra les chercher. Pourtant, voilà qu'Isak s'affaire. Une main qui fouille l'engin pour s'occuper. Le dos tourné à Marcus, il ferme les yeux. Reprend son calme, une respiration après l'autre. Tout va bien. Ils n'ont rien. La biche que le brun a évité de justesse s'est déjà enfuie dans les bois. Ils n'ont rien. Ils sont vivants.

« Non mais arrête voir, on va pas recoller les morceaux avec du scotch. Même la clé pour les boulons elle est pétée là, on va serrer trop fort et elle va finir en deux morceaux. Allez tant pis. Aucune dépanneuse va venir récupérer notre épave bien garée à cette heure-ci, vas-y on connaît le chemin par coeur. » Relevant la tête lentement, Isak jette un regard noir derrière son épaule. Ça il le sait déjà et il meurt d'envie de le signaler à Bakken l'empoté de service. Comme si lui allait chercher à trouver un moyen pour les sortir de là ! « Je sais bien tout ça. Ça vaut quand même la peine de vérifier plutôt que de rester planté là. » Le ton tranchant. Reculant d'un pas, Isak extirpe son sac à dos et sa veste du véhicule, s'habille. S'il faut terminer le reste du chemin à pied, autant ne pas mourir de froid. Plongeant ses mains dans les poches, il jette un rapide coup d'œil à l'écran noir de son téléphone et patiente le temps que Marcus se démène avec le sein. Pendant que Bakken tente de passer ses appels, le brun en profite pour secouer ses vêtements froisser puis ses boucles brunes dont quelques morceaux de verre en tombent pour finir par s'éparpiller sur l'asphalte noir. Il s'en veut Isak. De ses réflexes trop lents. De la peur qui lui a retournée l'estomac lorsque les flashs de ses cauchemars de l'année passée on refait brutalement surface. Une voiture roulant trop rapidement, une petite route sinueuse en Toscane, le corps de sa sœur étendue sur le bitume. Il ferme les yeux, inspire un grand coup et se met en route.

« Non. » Un seul mot pour toute réponse aux interrogations et au petit espoir que Marcus plaçait en lui, alors qu'il range son téléphone sans batterie. Il ne cherche même pas à se justifier. Pas une minute de plus à vivre dans cet enfer personnel. Plus qu'une seule solution s'impose aux deux hommes. Marcher. Marcher et faire du stop en espérant croiser un chauffard qui rentre tardivement et accepte bien de les prendre. « Bouge Bakken. Et arrête de t'agiter comme ça, ça sert à rien de perdre ton énergie à crier sur ton téléphone, garde-là plutôt pour le chemin du retour. » Glissant un regard vers l'homme qui l'a rattrapé, Isak cherche le moindre signe d'une blessure. Comme lui, Bakken semble intact. Soulagement intense. Pour combien de temps ? Probablement pas très longtemps. L'idée de marcher jusqu'à Brevik aux côtés de Marcus Bakken ne le réjouit absolument pas. « Bon, on va faire du stop tout en marchant, je vois pas d'autre solution. Si vraiment on tombe sur personne, je connais un chemin à travers la forêt. »

Walking is not an option @Isak Arnesen

Moralisateur cet Isak. C’est fatiguant hein. On a pas le droit d’exister. Il sait mieux que nous ! Et ben qu’il répare la machine s’il est sûr de son coup au lieu de me dire quoi faire ou ne pas faire pour le coup. Et puis y’avait pas de quoi en faire tout un plat, une petite sortie de route pour éviter un animal ça arrive. D’ailleurs, l’état de la voiture est vraisemblablement en meilleur état après avoir percuté un arbre plutôt qu’une biche de plein fouet. Oh et puis c’est moins dramatique on a tué personne tout ça tout ça… Après, on aurait pu avoir de quoi manger pour le reste de la semaine avec une biche comme ça ? Enfin, encore faudrait-il que je sache si ça se mange ou pas cette affaire. Saleté de voiture en panne, saleté de téléphone en panne. Saleté de journée à la noix… Et là. Mauvaise réponse de la part du pêcheur. Enfin et puis c’est quoi ça ? C’est pas une réponse hein ! En tous cas on peut pas appeler ça comme ça c’est ridicule ! Le mec a dit : non. Et la phrase ?! J’ai l’impression d’être avec une mini Solberg quand elle est dans la mauvaise période de son mois sérieusement. Des efforts monsieur Arnesen ? Un minimum ? Pour éviter qu’on ait envie de s’entretuer en trouvant une solution ? Et bien c’est simple, la réponse est non. A toutes ces questions. Et le pire, c’est qu’il continuait sur son ton moralisateur et désagréable à moitié marmonné dans sa barbe mal arrangée. « Eh oh, j’suis grand je fais ce que je veux hein… Je m’énerve sur mon téléphone si je veux. » Je l’écoutais, mais les mots me manquait. « Du ? Non mais tu ? » Sourcils froncés, indexe qui tentait d’exprimer les propos à ma place, sans succès. « Blague ? Hein ? » Et en même temps je savais très bien pour avoir été le premier à le suggérer : personne ne viendrait nous récupérer. D’autant plus si aucun de nous n’avait de téléphone en état de fonctionner. Il n’y avait pas 36 façons de rentrer à Brevik. Mais à pied à la limite, c’est le plan de secours. Mais dans les bois ? Mais il est fou ? Mais il va pas bien ? Mais est-ce que quelqu’un l’aide à prendre ses médicaments ou pas le soir ? Va falloir mettre en place un truc. Une surveillance rapprochée. Non mais je dis ça, c’est pour ça santé à lui ! Pour qu’il aille bien ! Pour qu’il aille mieux…

Grande inspiration. J’ai ouvert la bouche, mais je l’ai vite refermée avant de commencer à parler, je n’avais juste pas envie d’entendre ce que Isak avait à dire. Rien. Il n’y aurait rien d’intéressant ni d’agréable à entendre. J’ai lancé le mouvement. Un pas, puis deux pas, puis trois. On commençait à marcher pour de bon. Et là c’est sorti tout seul je sais pas comment c’est arrivé ? « Et puis non mais est-ce que tu peux arrêter de faire le daron hein ? On va marcher machin, on va hein quoi ? Dans les bois ? T’es dingue, on suit la route point barre. Déjà je marche, et je t’ai pas encore fait tout une scène, et tu devrais être content que je t’ai pas pété une durite plutôt dans la journée, alors non. Non non et archi non. On s’égare pas. Je fais pas confiance à un chemin dans la forêt quand on voit rien, avec le nombre de kilomètre qui nous attend. T’es fou. » Petit pause. J’étais content que ce soit sorti je crois. Mais je serai moins content de la suite de notre petit périple pour rentrer à la maison. Ca y est je reprenais la marche, la tête baissée, le visage renfrogné, fermé. Il me saoulait et j’avais attendu toute la journée comme un gentil garçon, tout ça pour…? Pour rien, merci Isak. « Est-ce que je te dis comment conduire moi, non ? Bon alors… » Oups, ça aussi c’était sorti tout seul…

Nouvelle vérification auprès du téléphone. Au cas où qu’il ait retrouvé de la batterie comme de par magie. Non que dalle. Soupire bruyant. Je continuais de m’appliquer en mettant un pied devant l’autre dans le noir. Manquerait plus que l’un de nous tombe et se casse un truc. Ah non mais là tout était possible hein. On venait juste d’avoir un accident duquel nous sommes sortis vivant, alors qu’on aurait clairement pu y rester. J’étais prêt à toute éventualité improbable hein ! J’étais avec Isak, si ça c’est pas improbable ! Oh et s’il pleut, j’abandonne. Ouais non j’abandonne déjà t’façon tout en marchant… Et là suffirait plus que l’un de nous glisse, non, c’est non c’est trop con, j’ai pas signé pour ça hein. J’ai pas signé dans l’asso pour des journées en tête à tête avec mon amoureux inavoué. C’est non ça. Juste non. Et là, juste là… Des phares de voiture qui commençait à poindre dans notre dos.

La réponse tranchante. Pas d'explication. Pas de justification. Parce qu'il n'estime ne rien devoir à Marcus Bakken ? Un peu. Surtout parce qu'il n'osera jamais expliquer ses raisons à voix haute. Le téléphone a de la batterie, du signal. Lorsqu'il sent que le brun s'agite à côté de lui, lui lance un regard courroucé, le pécheur hésite presque à revenir sur sa parole et sur sa décision. Un appel. Un petit appel et tout ceci serait probablement vite réglé. Enfonçant un peu plus les mains dans les proches, rentrant le cou dans sa veste pour se protéger du vent froid qui se lève – finissant à merveille ce tableau pathétique- il avance d'un pas décidé.

Le silence, qu'il pensait avoir gagné est rapidement coupé. Bakken ouvre la bouche. Une fois, deux fois, trois fois. Isak remarque que cette imitation parfaite d'une carpe sortie de son étang, ça lui donne l'air encore plus stupide que d'habitude. Et voilà qu'il craque. Déjà. Fermant les yeux, inspirant l'air froid pour essayer de rester maître de lui-même, Isak accueille dans un silence de plombs les paroles, ou plutôt les reproches du barman. Il en est maintenant convaincu : Marcus Bakken n'a qu'un seul et unique talent et il consiste à faire sortie de ses gonds le marin. Rien de plus. Rien de moins. Un daron. Un dingue. Il sent son sang bouillonner dans les veines. Puis l'image le frappe. Le regard révolté de Marcus, son pas pressé. Sa main vient frotter sa barbe. Et un rire lui échappe. Un seul. Entre hilarité et désespoir. Un dingue. « Peut-être bien. » Les paroles lancées plus pour lui que pour Bakken, elles s'emmêlent à celle du Barman qui s'entête à exprimer le fond de sa pensée. Rapidement, l'hilarité soudaine de cette situation parfaitement pathétique, laisse place à la lassitude, à l'agacement. Levant les yeux au ciel, Isak se tourne vers Marucs.

C'est finalement le soupir bruyant et las que pousse Marcus avant de pointer du doigt l'incapacité d'Isak de conduire qui chasse le dernier brin de patience du pêcheur. « T'as fini ? » Regard noir. Lui qui avait entrepris de compter silencieusement jusqu'à dix dans sa tête pour se distraire, pour ignorer les propos de l'homme n'arrive plus à faire bonne façon. Un peu trop touché dans sa fierté de se faire remonter pareillement les bretelles, un peu coupable de tout ce qu'il leur est arrivé, un peu inquiet, quelques minutes auparavant pour la santé du brun, un peu ébranlé par l'accident bénin qui lui rappelle une terrible nuit, bien plus dramatique. Lui qui se vante de savoir rester serein en toute situation, semble être prêt à perdre patience bien vite ce soir. « Ce que tu peux être lourd Bakken, c'est pas possible. » Sa voix monte d'un cran. Si Marcus peut jouer au coq de bassecour, lui aussi. Maître de la mauvaise fois, champion de l'entêtement, roi des regards noirs. « Pour quelqu'un qui veut pas que je me comporte en daron j'peux te dire que tu te comportes en putain de gamin. On te l'a déjà dit ça ? » Automatiquement, sa main droite sort de sa poche et se tend vers la bande d'asphalte qui s'étend sans fin devant leurs yeux. « Tu veux marcher tout le long jusqu'à Brevik ? Tu penses vraiment que c'est une meilleure idée que de faire du stop ou passer par la forêt ? » Peut-être un peu plus sûr certes mais beaucoup, beaucoup plus long. « Ben vas-y je t'en prie. Tu sembles tellement capable de te débrouiller sans l'aide de qui que ce soit ! J'ai pas besoin de toi pour retrouver mon chemin je te sign... »

Les mots se suspendent dans l'air froid lorsque d'un seul homme ils se retournent, apercevant des phares d'un voiture perçant la nuit noire, se dirigeant dans leur direction. Un cadeau du ciel ? Une bénédiction ? Difficile à croire tant cette journée ressemble à un purgatoire, à un enfer. Et pourtant. Se rapprochant considérablement d'eux, le véhicule ralenti à leur hauteur. Instinctivement, Isak tend son bras pour attirer l'attention du conducteur. Arrivée à leur hauteur la voiture ralentie, la vitre se baisse. Une jeune femme leur jette un regard étrange. « Bonso.. » Pas le temps pour le brun de sortir le moindre mot ou d'offrir un sourire apaisant à la conductrice. Cette dernière remonte rapidement la fenêtre, appuie sur la pédale de gaz. Et voilà que leur seul espoir s'éloigne déjà, aussi rapidement qu'il est apparu. Le bras suspendu dans l'air, Isak pousse un juron rageur. Oubliant un instant la présence indésirable de Marcus, il plonge la main dans sa poche de jeans et en ressort son téléphone portable. D'une pression, l'écran s'allume affichant l'heure. Bien trop tard pour que d'autres voitures fassent leur apparition dans les prochaines minutes.

Renfrogné, son téléphone sagement rangé dans sa poche de jean, Isak reprend son chemin. « Faut qu'on avance. On va geler si on s'arrête. » Un ton détaché, qui ne laisse pas transparaître la déception d'avoir été totalement ignoré par la conductrice, qui ferait presque oublier que quelques secondes auparavant il traitait Marcus d'enfant pourri gâté. Fini les disputes inutiles, les enfantillages. Se promettant d'ignorer dès à présent toute réaction de la part de son acolyte de fortune, Isak se remet en mouvement. Il faut marcher, avancer. C'est le seul moyen d'arriver le plus vite possible à Brevik, de mettre fin à cette journée catastrophique. C'est le seul moyen de chasser ces pensées intrusives qui lui murmurent que tout ceci c'est sa faute et que Bakken a probablement un peu raison, malgré ses nombreux défauts.

Walking is not an option @Isak Arnesen

C’est invraisemblable. Non mais c’est une blague ? Est-ce que tous les marins finissent sourds ou bien c’est une spécialité des marins d’Amérique du nord ? Ou bien attendez non précisons, une spécificité des marins du nord ouest de l’état de Washington ? Je faisais des nons de la tête en écoutant son discours du même niveau que le mien si ce n’est pas pire. Je levais les yeux au ciel, et parfois, je coupais ce petit air théâtrale avec des grimaces sur ses différents reproches. Que d’autres le disent, pourquoi pas. Que Isak le dise : absolument pas. Absolument pas normal. Absolument pas acceptable. Ok, c’est bon. J’en avais ma claque de cette journée et de ses conneries qu’il débitait aussi bien que moi. S’il se croyait différent, il avait tord. Je balayais l’air devant mon visage d’une main, comme pour attraper une mouche, ou plutôt pour faire essayer de faire taire le pêcheur en commençant mon chemin seul le long de la route. Je continuais à remuer une main au niveau de ma tête pour lui faire comprendre que son discours, j’en avais rien à péter. Seulement, trois mètres plus loin, et ces phares qui venaient vers nous, nous stoppaient dans chacun de nos élans. Il n’y avait plus ce discours avec la voix agaçante d’Arnesen, et j’avais arrêté ma micro progression d’un coup net en me tournant vers la voiture en question.

Et puis quelle idée à la con que de laisser le marin qui vit dans une cabane l’hiver et son bateau l’été de négocier notre ride home. Soupire long et discret en voyant qu’il n’a même pas réussir à faire une phrase entière avant que la voiture ne mette les voiles. Faut que j’arrête avec les jeux de mots concernant le travail d’Isak, je me fatigue tellement ! Puis je vois. Je vois bien son téléphone et l’écran qui s’allume. Je vois bien qu’il a l’air d’être en état de fonctionnement. Il me faisait quoi le marin là ? Il avait pas sérieusement envie qu’on tente une conversation de réconciliation tout en marchant dans les bois, le soir, quand il fait nuit, après un mini accident ? Non mais c’est une blague ? Je riais avec ces espèces de mini soupires qui sortaient tout seul de ma bouche, très ironique. Mon cerveau ne comprenait réellement pas ce qu’il se passait. Et ce con, il coupait à travers la forêt sans prévenir ! Avec un téléphone qui a des piles ! « Eh oh ! Si tu veux que je te dise combien je t’aime pour qu’on puisse utiliser ce téléphone à la noix que tu planques dans ta poche, suffisait de demander hein ! » Je disais ça bien plus fort que j’imaginais, en enjambant les quelques branches qui étaient là. J’avais tellement peur de me prendre les pieds dedans… On aurait dit une imitation d’astronaute. « Mais éclaire nous avec ce téléphone au moins si tu veux appeler personne ! » A nouveau soupire bruyant en essayant de rattraper Arnesen. « Mais arrête un peu, tu sais bien que je t’aime, tu sais bien qu’on a jamais su se le dire, tu sais bien que c’est pas grave, que c’est qu’une petite épreuve, qu’on va s’en remettre, que notre couple va s’en remettre ! » Pétard. Même mon humour de débile ne faisait pas ralentir le pas effréné d’Isak. « Aïe ! Ouah pétard saleté... » Une micro branche d’arbre venait de gifler mon visage. RAS. « Non mais t’inquiète c’était rien, surtout t’arrête pas pour ça ! » Disais-je fort avant de marmonner : « J’suis juste devenu borgne, tout va bien, t’inquiète, pas de quoi me transporter jusqu’à l’hôpital... » Non mais en vrai. Il n’y avait rien. Rien de très sérieux. Au pire une micro égratignure. Mais il aurait quand même pu faire genre de s’y intéresser ? Ben non. Encore et toujours, non.

Mais rien à faire. Le marin avançait. Je m’efforçais de ne pas perdre le rythme pour ne pas me perdre. Pas de pêcheur, pas de retour assuré jusqu’à Brevik. C’était terrible de me dire à quel point je dépendais de lui, là maintenant. A quel point, ma survie dépendant de sa capacité à nous faire couper à travers la forêt en pleine nuit. Je détestais rien que l’idée. Alors le vivre pour de vrai, c’était humiliant. Pourtant putin mais c’est vrai. J’avais besoin de ces compétences qu’il avait. J’avais besoin de son air têtu pour qu’il soit sûr du chemin qu’il prenait, y compris dans le noir. « Et si y’avait un ours ?! » C’était sorti de nul part ça encore. Et ça faisait un moment que je l’avais pas ouverte. Fallait bien que je lui assure que j’étais toujours en vie et que je le suivais toujours de près. Non mais parce que les histoires d’animaux sauvages dans les alentours de Brevik, c’est pas de la blague hein. Ca existe vraiment ! Si si ! J’en connais trop des gens qui ont des histoires pas drôle à raconter de ce genre. J’ai pas envie de faire partie de leur groupe d’écoute et de partage, dans la salle polyvalente de Ms Pemberton un lundi sur trois. Non hein, ça va, pas ça.

On marchait. Et je crois qu’il y avait de plus en plus de silence. C’était pas qu’une bonne idée, parce que ça veut dire que ça moulinait beaucoup plus fort dans mon cerveau à la noix. Et j’essayais de comprendre pourquoi ! Ou plutôt comment ? Est-ce que ce gars était affectueux ? J’imagine que oui ? Mais comment finissait-il par en faire part à son entourage ? Non mais sérieux. Il savait faire des phrases en souriant ? J’avais du mal à croire de la part d’Enid qu’elle s’intéresse à un gars qui soit uniquement sombre, noir, triste, archi ennuyeux. Elle c’était tout le contraire ! Je veux bien que dans l’amour y’ai une histoire de nianiania, on se complète. Mais, attention breaking news, y’a aussi une histoire de nianiania, on se ressemble. « Tu sais, c’est pas grave hein ! » Mais de quoi je parlais à la fin ? Même moi je levais les mains en l’air signe de non compréhension. Seulement ça semblait important de dire ça, à ce stade-là de la soirée. « Ce qui compte c’est qu’on ait rien de grave, qu’on soit même capable de nous auto ramener à la maison avec nos jambes. » Mais plus je continuais sur cette piste-là plus je comprenais. Au final, pêcheur renfrogné ou non, ça restait un homme. Et en m’écoutant parler, j’avais cette fois-ci l’impression d’expliquer à une mini Solberg que, ben non, les erreurs ça arrive. Les accidents aussi. C’est pas grave ! Enfin, pas toujours… Ce soir, ça ne l’était pas. Et même si la situation me sortait par les yeux, personne n’avait rien. Ni même Isak. « Je parle beaucoup… Beaucoup trop oh eh ça va ça je sais hein… Et j’en dis des conneries ! Mais y’a pas de problème mec. J’aurais certainement fait pire si j’avais été au volant. » J’utilisais toujours mes mains pour essayer d’éloigner les branches un max avant de filer droit, de peur que mon visage soit à nouveau abîmé par erreur. Et je ne voyais rien d’Isak. Même pas son dos très clairement, juste une espèce d’ombre, devant moi. Qui ne se retournait jamais, ou bien j’y voyais rien, et qui fonçait, déterminée à rentrer. Je passais une main sur ma joue. Oui je transpirais depuis qu’on avait commencé cette randonnée nocture, aka ma plus grande passion. Mais ça, j’étais plutôt convaincu que c’était une goutte d’eau qui venait d’en haut ? C’était certainement psychologique. J’avais tellement peur qu’il pleuve faut dire… Ou qu’on tombe sur un ours ! Que le destin choisisse ! L’un ou l’autre ! Mais les deux, non mon capitaine…